Vues partielles de l'exposition coll. Office fédéral de la culture, Berne |
Thomas Huber, Mesdames et Messieurs, 1994 in cycle Patchwork in Progress 6 et dernier |
L’œuvre de Thomas Huber repose sur l’idée que le monde est entièrement représentable. Une idée qui s’énonce partie par partie dans sa peinture sous forme de figures et de symboles que l’artiste commente dans des conférences inséparables de l’acte pictural. Des premières peintures que Th. Huber réalise alors qu’il fréquente encore l’Académie de Düsseldorf « Discours sur le déluge » et « Discours sur la création » (1982) il semble d’emblée possible de dire ce que lui-même affirmera douze ans plus tard dans « Mesdames et Messieurs » : « Le tableau est un lieu de communication d’un message ». Cela ne signifie pas pourtant qu’il s’offre immédiatement. L’œuvre intègre le spectateur, elle est même conçue pour lui : « Peindre, c’est se préparer à la rencontre significative avec ceux à qui on s’est adressé dans le tableau. Le moment venu, on abandonne aux invités la table mise. Ce sont eux qui doivent faire de la réunion une fête réussie ». Mais les « invités » doivent parcourir un processus de symbolisation complexe qui recourt à des techniques de représentation sophistiquées : mises en abîme systématiques, co-présence de temporalités différentes ou d’éléments apparemment contradictoires dans un espace illusionniste (comme la lune et le soleil dans « Discours sur la création »), jeu de références complexes, qui font appel à des contenus symboliques ou à des connaissances bibliques (« La Reine de Saba »,1987), correspondances des couleurs, des ombres et des lumières, et des éléments figuratifs, surdétermination de l’ordre de la composition et de chaque détail qui se vérifie dans les nombreuses études préparatoires auxquelles Th. Huber procède. Certains de ces traits donnent accès au sens du tableau ; d’autres, comme les mises en abîme, renvoient à sa constitution à ce qui lui permet tout à la fois d’être investi par le spectateur et de définir son autonomie. Si les mises en abîme jouent à cet égard un rôle semblable à celui qu’elles avaient déjà eu dans la constitution de l’objet-tableau à partir du XVIIe siècle, Th. Huber rappelle également l’importance du cadre, de l’installation et de la perspective, qui aspire le spectateur dans l’espace de la représentation, dans l’événement du tableau, mais qui le rejette aussi irrévocablement. Est-ce précisément la conscience de « l’abîme entre ces deux mondes », ce caractère irréductiblement « énigmatique » de l’image, qui fait que paradoxalement celle-ci devienne le lieu privilégié d’une convivialité et d’une réconciliation ? Le fait est que pour Th. Huber « une des tâches les plus élevées des peintures est d’être une occasion sociale » (« Discours à l’école », 1986). « Ein offenes Bad für Münster » (« Skulptur Projekte », Münster,1987) en est peut-être l’expression la plus explicite, et l’exposition « Konstruirte Orte » (Kunsthalle de Berne, 1983) qui l’associait notamment à Ludger Gerdes et à Thomas Schütte, un autre signe. Mais l’œuvre de Th. Huber assume cette ambition à un niveau utopique celle d’une rationalité bourgeoise qui vise à expliquer le monde dans sa totalité et qui se refuse à des représentations fragmentaires ou inachevées. Et cela, même lorsqu’elle a conscience de ses limites et que le doute vient à pointer, comme dans la suite de tableaux présentés dans l’exposition. Car la communauté du public semble devoir impérativement se produire, fût-ce autour d’un non-événement : « mais quel discours ? Les tableaux ne sont pas encore peints. Je commence à douter qu’il y aura quelque chose à voir un jour. Car le travail est achevé. Malheureusement, les tableaux sont invisibles. Donc pas de tableaux, pas de conférence, pas d’applaudissements. » |
Thomas Huber est né en 1955 à Zurich ; il vit à Berlin. www.huberville.de/prestart_high_frz.htm |