Claire Burrus, Sujet à discrétion, 1985 coll. Claire Burrus Hommage à Philippe Thomas : autoportrait en groupe, 1985 coll. Daniel Bosser Daniel Bosser, Philippe Thomas décline son identité, 1987 captation de la représentation du 23 mars 1987 au Centre Georges Pompidou |
Hommage à Philippe Thomas et autres œuvres augmenté de L’Ombre du jaseur (d’après Feux pâles) in cycle Des histoires sans fin, séquence printemps 2014 |
Fictionnalisme Dans la Camera candida sont présentés un ensemble de travaux de Philippe Thomas réalisés entre 1981 et 1987. Cette période fictionnaliste annonce les grands principes qui seront ensuite repris à travers l’agence les ready-made appartiennent à tout le monde® (présentée au deuxième étage du Mamco). Composé de nombreux écrits et de quelques images, ce premier moment se déploie dans un régime esthétique et rhétorique qui est celui de l’indice, de la preuve, de la « pièce à conviction », plongeant la Camera candida dans une suspicion généralisée. Comment lire un Manuscrit trouvé écrit par un homonyme de Ph. Thomas dont nous apprenons dans une lettre puis un avertissement (inséré comme un encart judiciaire) qu’il se serait opposé à toute publication ? Comment envisager le manuscrit d’un article où Ph. Thomas est « cité à comparaître » et dont le signataire, un certain Michel Tournereau, possède une écriture relativement proche de celle de Ph. Thomas ? Ou encore, sur quel mode recevoir les énoncés d’une conférence théorique lorsque celle-ci se révèle en fin de compte être une pièce de théâtre ? Autant de « questions de présentation » qui nous invitent à scruter l’à côté, le paratexte de l’œuvre et non strictement son contenu, pour en résoudre les énigmes. Issu du champ littéraire, Ph. Thomas a gardé un goût pour la duplicité du sens et travaille, dans ces premières pièces, sur cette mince frontière qui sépare ce que nous tenons pour sérieux de ce qui est feint. La fiction déborde le cadre dans lequel elle est d’ordinaire circonscrite pour infiltrer noms d’auteurs, préfaces, avertissements, voire comptes rendus critiques. Il n’est pas un seul élément de l’appareil traditionnel de médiation entre l’œuvre et son regardeur qui ne soit contaminé, jusqu’au cartel, ce mince espace de l’entremise, d’ordinaire peu sujet à caution. Or, c’est précisément dans cette petite zone que se joue toute la fiction des différentes versions de Sujet à discrétion. Présentée pour la première fois dans l’exposition Les Immatériaux au Centre Pompidou (1985), l’œuvre se compose de trois photographies de la mer, strictement identiques, accompagnées de trois cartels. Le premier, sur un mode neutre et distancié, n’indique pas d’auteur et se contente de poser un référent : une vue quelconque de la Méditerranée. Le second mentionne comme auteur Philippe Thomas et porte le titre Vue de l’esprit : une expression qui désigne une conception abstraite et théorique, mais qui pourrait dans le cas présent signifier une « vue subjective », comme l’on parle de caméra subjective au cinéma. Nous serions donc en train de voir ce que l’artiste lui-même a vu. Ceci prend d’autant plus de sens lorsque l’on sait l’attachement de Ph. Thomas au livre de Maurice Blanchot Thomas l’obscur, grand roman de la disparition, qui s’ouvre sur ces mots : « Thomas s’assit et regarda la mer. » Le troisième et dernier cartel vient brouiller cette subjectivité en introduisant un autre nom, mais toujours avec le même titre. Il s’agit là du nom de l’acquéreur de la pièce. Si les deux premiers cartels portaient la mention pièce multiple, le dernier indique lui une pièce unique. Autrement dit, sans cette délégation d’auctorialité, cette manipulation de l’index soumise à échange financier, l’unicité de la pièce demeure en défaut. Une présence de l’autre dans le même qui vient faire écho aux répétitions « tronquées » d’un Allan McCollum, artiste proche de Ph. Thomas, présenté plus loin dans le musée. Avec Sujet à discrétion, Ph. Thomas inaugure ainsi le protocole de sa disparition en tant que signataire au profit de ses acheteurs, protocole qui définit toute sa pratique à venir. À la manière des hétéronymes de Fernando Pessoa, les collectionneurs-artistes de Ph. Thomas apparaissent comme les personnages d’un vaste complot fictionnaliste. La grande photographie Hommage à Philippe Thomas : Autoportrait en groupe (1985) montre ainsi, dans une composition qui reprend très fidèlement l’Hommage à Delacroix (1864) de Henri Fantin-Latour, les premiers signataires de l’œuvre thomasienne. Une photographie en forme de manifeste, où s’entrevoient de nombreux rappels des travaux précédents. On y retrouve notamment le Sujet à discrétion (en lieu et place du portrait de Delacroix dans le Fantin-Latour), ou encore un exemplaire de Frage der Präsentation, l’édition allemande et augmentée du Manuscrit trouvé. |
Philippe Thomas est né en 1951 à Nice ; il est décédé en 1995 à Paris. |
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