Vue partielle de l'exposition 0712.3.1109 (numérodouze), 2009 aquarelle sur papier ; 95 x 138 cm coll. de l’artiste 0718.1.0210 (immobilière), 2010 aquarelle sur papier ; 95 x 138 cm coll. de l’artiste |
Yvan Salomone, Yes I will yes in cycle Futur antérieur, séquence d'été 2010 |
Depuis le 5 août 1991, Yvan Salomone réalise des aquarelles selon des règles précises et immuables qui l’ont amené à constituer un corpus de près de sept cent-trente images. L’utilisation de cette technique, que l’on est spontanément tenté de juger anachronique, est chez lui tout sauf nostalgique. Elle se double de la pratique de l’écriture dont Le point d’Ithaque. Cahiers 1991-2006, ouvrage récemment publié par le Mamco et véritable plongée intime dans la constitution des images, est le résultat. Avant de peindre des aquarelles, Y. Salomone a composé une série de tableaux au format très allongé (à la manière du cinémascope). Réalisées avec du bitume de Judée, matière noire et photosensible, ces oeuvres dépeignaient des zones portuaires sans présence humaine, un motif qui demeure aujourd’hui encore au centre de son travail. Car les aquarelles qui ont très vite succédé aux tableaux proposent d’une manière quasi-exclusive des paysages industriels dont l’identité est en suspens et dont l’homme est physiquement le grand absent même s’il est le seul responsable du spectacle silencieux que l’artiste dépeint. Chaque aquarelle a le même format (133 x 97 cm). Pour la réaliser, l’artiste part en repérage, un geste qui structure véritablement son existence car, confie-t-il, « la vie est un repérage ». Il prend des photos de ces espaces qui enregistrent les traces matérielles et quelquefois monumentales du travail humain puis les projette et choisit celles qui seront le moment d’impulsion de la peinture. Il projette alors à nouveau la photo sélectionnée sur la feuille de papier sur laquelle, en utilisant la technique de l’aquarelle, l’image est reprise. Cette manière de faire refroidit un rapport à la peinture et à un processus de fabrication d’images très ancien qui pourrait être nostalgique. Bien au contraire, non seulement le choix des motifs donne une dureté iconographique actuelle à la représentation, mais l’apport singulier d’Y. Salomone est d’avoir inscrit l’aquarelle dans sa condition photographique. Souvent des carrés, des rectangles et autres cercles noirs circulent sur ces images amplement colorées. Ce sont des formes géométriques qui recouvrent ou s’insèrent dans des paysages industriels, des zones urbaines a priori peu séduisants, et qui ne leur appartiennent pas, sortes de moments d’abstraction sombres qui arrêtent le regard au milieu d’un traitement polychrome de la figuration. Ils donnent une profondeur à l’image, la transformant en un palimpseste sans pour autant que de la profondeur soit créée par cette juxtaposition : Y. Salomone propose ici un exemple de ce que l’historien de l’art français Jean Clay a qualifié de « profondeur plate ». Le mode d’accrochage choisi (un mur de soixante-quatre images d’une longueur totale de vingt-trois mètres) reprend une présentation précédente qui fut proposée au musée en 2000, fidèle en cela à un constat qui structure la vie du Mamco selon lequel la pratique de l’exposition et l’exercice de la vision sont profondément liés à l’expérience de la répétition. L’oeil est d’abord saisi et désarçonné par un spectacle qui sature le regard de multiples sollicitations visuelles. Puis le spectateur déambule devant ce monumental pan de peinture(s), il part lui aussi en repérage de formes et de couleurs, il se met à identifier. C’est aussi un travail d’identification du visible qu’a entamé l’artiste à travers la pratique de l’écriture, elle-même conditionnée par ses propres aquarelles. Entre 1991 et 2006, il a rédigé dix cahiers de soixante pages chacun. Chaque page a pour impulsion une image peinte. Cependant, le texte peut être lu indépendamment de son origine visuelle de laquelle il participe mais à laquelle il ne se réduit pas et par rapport à laquelle il se situe dans un après coup. Ni journal ni écrit d’artiste ni théorie de la vision, ces digressions qui sont aussi de véritables pénétrations dans la plasticité de l’image, dans la vie matérielle et symbolique de la peinture, proposent une manière de mise à nu langagière du visible. Le lecteur qui plonge dans ces six cents pages de texte fait l’expérience de ce que produire du sens implique d’obsessions, d’allers et retours, de renoncements et de révélations. De cela résulte le sentiment que, qu’il peigne ou qu’il écrive, Y. Salomone mène depuis maintenant près de vingt ans une entreprise qui consiste à mettre sur la page (page peinte, page écrite) l’ensemble des linéaments grâce auxquels quelque chose de visible ou de lisible existe. |
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