| À la lecture du titre de l’exposition d’Alex Hanimann, tout
          lecteur francophone sera surpris par ce qui semble une
          juxtaposition fautive de deux mots, « Double entendre ». Ou,
          pour le moins, une bizarrerie linguistique. Cette étrangeté        de l’intitulé guette le spectateur tout au long de l’exposition.
          Ces œuvres qui font la part belle aux jeux de langage,
          constituent une part importante du travail d’Alex Hanimann
          dont le Mamco avait montré à plusieurs reprises l’autre
          versant, le monde des images.
 
 La démarche d’Alex Hanimann se place dans un ensemble
          de pratiques contemporaines très diverses, au carrefour
          de l’interaction entre l’art et les mots qui s’est nouée tous
          azimuts dès le début du 20e siècle. La présence du langage          écrit est en effet devenue de plus en plus insistante dans le
          territoire plastique et la valeur proprement visuelle de l’écriture
          est allée jusqu’à exclure de l’image tout autre élément
          que le scripturaire. C’est exactement dans cette fracture
          que s’articulent les deux pans des recherches d’Alex
          Hanimann qui peuvent subrepticement se rencontrer sur
          certains de ses dessins dans lesquels le texte survole tel
          un titre le sujet dessiné ou vient s’inscrire dans une bulle
          expressive de bande dessinée.
 
 Lorsqu’il s’éloigne de l’image et travaille « purement » le langage,
          Alex Hanimann en exploite tous les ressorts, du signe
          typographique, du mot, de la phrase et de la phonétique au
          passage d’une langue à une autre. À Ferdinand de Saussure
          (1857-1913) pour qui « le signe graphique est une image ou
          une forme à considérer en soi », Alex Hanimann répond par la
          variété des usages qu’il insuffle au matériau typographique.
          Les pages textuelles d’Alex Hanimann, qu’elles soient au
          format du livre ou à celui du mur, n’évoquent pas la bigarrure
          des textes de presse présents dans les œuvres cubistesmais s’établissent avec affirmation sur le terrain de l’écrit.
          Lettres et chiffres acquièrent des propriétés visuelles autant
          par leur forme dessinée ou dactylographiée que par leur
          disposition sur la page. Le fait est connu, c’est à Stéphane
          Mallarmé (1842-1898) que revient d’avoir brisé le carcan
          imposé des typographes, mais il est curieux de constater
          que l’invention du texte est ultérieure à celle de l’écriture.
          L’histoire rapporte que c’est Zénodote d’Éphèse (IIIe siècle
          avant J.-C.), premier directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie
          qui devant les multiples difficultés de lecture et d’archivage,
          notamment de la scriptio continua, aurait instauré          le premier système d’organisation visuelle de l’écrit dans
          l’espace de l’écrit : le blanc entre les mots1.
 
 Le travail d’Alex Hanimann veut aller au-delà des pures
          recherches graphiques dont elles ne constituent pas un
          point d’arrivée mais, pourrait-on dire, un point de départ, un
          déclencheur de l’imaginaire du spectateur, un embrayeur
          linguistique. Il jongle avec les mots, attentif à leur sens età          ceux qui peuvent survenir lorsqu’ils sont juxtaposés, assemblés,
          soulignés, barrés, lus dans un sens inversé, traduits
          dans une autre langue.
 
 « Classer, c’est interpréter », aime à expliquer Alex
          Hanimann. Observant et analysant sa production, multiple
          — ses dessins-image et ses travaux sur le langage — mais          également son imposante archive de photographies découpées
          dans les journaux et magazines ponctuant la vie sociale
          et politique, il lui a paru impératif, au risque de s’y égarer
          soi-même, d’inventer son propre thesaurus. Des corpus se
          sont alors constitués selon des thèmes. Son intérêt pour
          la langue étant de l’ordre encyclopédique, son classement
          thématique s’égraine en modes d’emploi, règles diverses,
          jeux de langage, logique, langue banale, listes de mots,
          axiomes, rythmique et sonorité des mots. Au même titre,
          les images sont classifiées en groupes constitués par les
          plantes, les animaux, les dessins abstraits, la danse, les personnages
          qui agissent, les personnages qui se présentent…          Peints sur le mur, soufflés dans des tubes de néons, dessinés          à la gouache lettre après lettre puis assemblés dans des collages
          monumentaux ou façonnés à la manière des enseignes
          lumineuses, les textes d’Alex Hanimann, s’ils suggèrent de
          possibles cohérences significatives, conservent toujours
          quelque chose de « flottant ». À savoir qu’ils n’obligentà          aucune signification précise et absolue. Celle-ci est à disposition
          de qui veut la saisir, à la disponibilité du spectateur
          de les lire et de créer ses propres associations.
 
 
 1. Nina Catach, « Retour aux sources »,
          Traverses, nº 43, février 1988, pp. 33-47.
 
 
 
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