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du 12 octobre 2016 au 29 janvier 2017

Christo, Corridor Store Front



Conçu et réalisé en 1967 puis montré l’année suivante à la Documenta 4 à Kassel, Corridor store front est, à bien des égards, une œuvre clé dans le travail de Christo (1935, Bulgarie). Cette pièce réunit en effet plusieurs traits de l’art de l’époque, notamment l’interrogation sur la marchandisation de l’art et l’utilisation de matériaux modernes (plexiglass, aluminium, contreplaqué, présents notamment dans l’art minimal). Mais elle est aussi une façon, pour Christo, de relier son travail à l’histoire du modernisme à travers un de ses motifs anciens : la vitrine.

Dès 1963, Christo montre des vitrines dont il recouvre de papiers et de tissus opaques les intérieurs. À partir de 1964, il réalise lui-même des devantures grandeur nature, d’abord avec des objets trouvés, ensuite avec des matériaux neufs. Pour faire Corridor Store Front, il transforme son appartement de SoHo à New York en un véritable espace de production et d’exposition. Car une fois réalisée dans le lieu de vie de l’artiste, l’œuvre y occupait une grande partie du volume disponible, la porte entrouverte que l’on voit au bout du corridor permettant, à l’origine, d’accéder à d’autres pièces du loft ; de plus, sa visite était possible : le lieu de production devenait lieu d’exposition. Un an plus tard, la pièce fut transportée en Allemagne. Christo n’utilise pas ici une vitrine ready-made mais construit une devanture de magasin dont il étend les caractéristiques à la totalité du processus de production : c’est l’atelier qui devient luimême une vitrine. Mais pour montrer et pour vendre quoi ? Certainement pas des produits proposés aux consommateurs dans une société dite de consommation alors aux prises avec des interrogations majeures sur son avenir (Corridor Store Front est contemporain de mai 1968) mais plutôt la disparition de la marchandise : c’est le vide qui est ici mis en scène dans cette vitrine couloir et non un produit à admirer (ce qui fait aussi de cette pièce un hommage à peine déguisé à l’exposition sur le vide d’Yves Klein proposée à Paris en 1958). Corridor Store Front apparaît, sur la scène new-yorkaise, alors même que la question du rapport entre l’art et le monde marchand, le geste artistique et le geste commercial, est posée. En 1961, en effet, Claes Oldenburg ouvre The Store (Le magasin) dans son atelier. Avec cette pièce, le lieu de production des œuvres d’art devient un lieu de vente comme les autres, et l’artiste propose dans sa boutique tous les produits nécessaires à l’assouvissement des besoins quotidiens : ce qui est à vendre est de l’ordre de la marchandise immédiatement consommable. Christo répond donc ici à Oldenburg en vidant le magasin.

Cette vitrine en forme de couloir s’inscrit dans une histoire de la représentation des boutiques. À la fin du XIXsiècle, par exemple, Eugène Atget photographie les rues de Paris et en particulier les devantures des commerces. Cette iconographie laisse une grande place à la marchandise et à son exposition publique et urbaine. Plus tard, ce sont les artistes les plus inventifs qui se saisiront de la vitrine — ou des devantures des magasins — pour y faire des interventions. Ainsi Marcel Duchamp a-t-il dessiné la porte de la galerie Gradiva qu’ouvrit André Breton 31 rue de Seine à Paris en 1937. Plusieurs années après, c’est une installation qu’il crée, avec le même André Breton, dans la vitrine de la librairie Gotham Book Mark à New York, du 9 au 10 avril 1945, à l’occasion de la présentation de l’ouvrage de ce dernier Arcane 17 (on pouvait notamment y voir une œuvre de Matta). À l’automne de la même année, il invente, sur la 5e avenue à New York, en collaboration avec Enrico Donati, une autre installation dans la vitrine du Brentano’s bookstore pour la présentation d’une édition augmentée de Le Surréalisme et la peinture. Plus près de nous, Andy Warhol a, en 1961, présenté ses premières peintures dans la vitrine du magasin Teller de New York parmi des mannequins habillés de parures de mode. Autant d’exemples très divers qui tracent une généalogie dans laquelle s’insère Corridor Store Front (dont le Mamco montre aussi des dessins préparatoires, de même que trois dessins d’autres projets de Christo) et dont chaque moment n’aura fait qu’explorer ce que Marx, dans Le Capital, a appelé « le fétichisme de la marchandise ». Sauf que Christo aura poussé cette exploration à son comble : en enlevant la marchandise d’une vitrine devenue vide, il montre l’inanité du jeu politique et social dont elle est le centre.