Figure protéiforme de la scène artistique autrichienne, ancien ami de Martin Kippenberger, Jörg Schlick est surtout connu pour ses éditions des sérigraphies ou des objets, le plus souvent « ready-mades », sur lesquels vient par exemple s’imprimer « keiner hilft keinem » (personne n’aide personne) manière radicale et sarcastique d’obliger le spectateur à se positionner face à l’image ou à l’objet qui lui sont présentés et de l’amener à dépasser une culture politique de l’indifférence. Il édite aussi une revue « Sonne Busen Hammer », baptisée « organe officiel » de la « Lord Jim Loge » dont chaque livraison est consacrée à une exposition, à un problème ou à un artiste différent. Et lorsqu’il est lui-même appelé en mai dernier à concevoir un tirage de « Camera Austria » (une revue de photographie), c’est pour en faire un numéro noir, un numéro d’où tout article et toute photographie auront été bannis, en signe de résistance à l’arrivée du parti de Jörg Haider au gouvernement signe aussi que l’engagement de l’artiste a bien un sens.
Avec « Particules élémentaires », J. Schlick présente des photographies. Un ensemble d’images qui n’ont 'a priori' rien de particulier et qui auraient pu être sélectionnées presque au hasard : des clichés que J. Schlick prend apparemment au fil de ses pérégrinations, sans intentions particulières.
Ce qui est moins banal en revanche, cest le mode de présentation de ces photographies. À lheure où prolifèrent les caissons lumineux, les grands formats, les encadrements et les passe partout, preuve que la photographie nen a pas fini de se légitimer en se mesurant à la peinture, J. Schlick se limite au petit format et au sous-verre. Plus intéressant encore, son rapport à la répétition. Si la répétition, via la capacité de reproduction à lidentique, représente ce que la photographie a apporté de plus radical dans le champ artistique, J. Schlick adopte à son égard une attitude beaucoup plus tranchée par exemple que le 'Pop art'. Le procédé nest jamais fétichisé, les images viennent simplement se juxtaposer les unes aux autres pour former des compositions en damier. Quant aux effets plastiques qui découlent de ces juxtapositions, ils ne dissimulent jamais quils dépendent dune logique qui na rien à voir avec les images elles-mêmes.
Pour « Particules élémentaires », J. Schlick fait en effet un jeu de mot dans le sens où la disposition des quatre clichés retenus repose effectivement sur le code qui gère la production de la matière vivante chaque image renvoyant à une des bases de lADN : adénine, thymine, guanine et cytosine. Cest sur cette combinatoire que reposent les dix-huit compositions-mosaïques de vingt-quatre images qui constituent l'ensemble du travail.
Faut-il en déduire qu’il y a là une analogie entre l'infinie diversité de la création biologique et celle d’une production esthétique capable de produire de la différence et du sens à partir de la répétition de presque rien, d'un assemblage de quatre éléments quasi indifférents. Entre la fragmentation de l’image photographique et sa répétition, le spectateur devrait en tout cas avoir tout loisir de s’interroger sur les procédures d’individualisation de l’œuvre d’art ainsi que, parallèlement, sur les présupposés et les préjugés qui déterminent sa construction du réel.
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