Travaillant le fait historique les films de Frédéric Moser et Philippe Schwinger racontent la guerre, l’hypocrisie des relations sociales et le désir désenchanté d’utopie. Sur le mode détourné de la fiction. Les deux vidéastes pourraient faire leur la réflexion de Jacques Rancière « Le réel doit être fictionné pour être pensé ». En effet, une fois le « fait » choisi, leur travail commence par l’écriture d’un scenario basé sur une étude particulièrement documentée des comportements, des attitudes, du contexe et de l’enchaînement des faits originaux. Mais ils le détournent, le remanient et le rejouent, créant une distance qui, paradoxalement, le rapprochera de notre possibilité de jugement.
« Rejouer », c’est sous ce mot aux acceptions multiples, que se concentre la démarche filmique de Moser et Schwinger. Pratiquant le « remake déplacé », ils posent et reposent la question de la représentation. Ce dont ils s’inspirent constitue la trame de ce qui va être rejoué. Un fait historique : Capitulation Project (2003) traite du massacre des habitants du village vietnamien de My Lai le 16 mars 1968 par les soldats américains, mais leur film s’inspire d’une perfomance théâtrale de ce tragique événement, Commune, créée en 1971 par le Performance Group de New York. Letter to the Swiss Workers (2006), interroge, à partir de la « Lettre d’adieu de Lénine aux travailleurs suisses » en 1917, la question des utopies sociales au travers d’une micro-société d’un village allemand du 21e siècle. Un événement médiatique : Unexpected Rules (2004) et Time Flies (2006) reprennent l’affaire Lewinski sous le mode pseudo réaliste télévisuel. The Schwejk Project (2006) reconstruit dans un univers clos les rapports de domination contraignant l’homme immigré. Un film, Revival Paradise (2003), transposition géographique et culturelle du film de Jim Jarmusch Stranger than Paradise (1984).
Dans ce deuxième temps, celui de la représentation, Moser et Schwinger mettent en place un dispositif dans lequel acteurs et public occupent une place importante, comme au théâtre. C’est particulièrement vrai des installations où le spectateur se retrouve au milieu d’un décor construit dans lequel un événement s’est déroulé et se trouve confronté à cet événement par les images qui défilent sur l’écran. Moser et Schwinger créent une situation dans laquelle tous les éléments du processus dramatique vont converger. La mise en scène suit nécessairement et très précisemment le déplacement temporel et géographique du récit fictionnel. Les acteurs n’improvisent pas. Moser et Schwinger, qui ont dirigé durant plusieurs années un atelier de théâtre, comptent sur l’énergie propre du jeu des acteurs pour rendre perceptible la manipulation des émotions (d’où cette impression parfois qu’ils « surjouent »). Les images, le cadrage, les plans, les séquences, les décors, tout est calculé et mis en place sans chercher l’adhésion du spectateur aux sentiments exprimés mais pour créer une distance qui éclaire les processus dramatiques afin que la transposition mette en exergue les interrogations humaines, sociales et politiques, le pouvoir des médias et de l’économie et la versatilité de ce qui pourait paraître la vérité historique.
|