De sa formation darchitecte, Renée Levi a conservé une attention particulière aux problèmes despace et de construction. Lessentiel de son travail consiste à modifier la perception de lenvironnement dans lequel elle intervient en jouant sur les matériaux choisis, leur couleur, leur inscription dans le site.
Concrètement, ces interventions peuvent revêtir différentes formes : des rideaux tirés à tous les étages dune façade, des mètres de corde à linge bleue tendus contre un mur de briques grises, des blocs de polyuréthanne rose, des rouleaux de papier Kraft peints et disposés à même le mur, des panneaux de plâtre sprayés, des peintures murales. Toutes ces interventions se caractérisent par une transparence des matériaux qui est à la fois propre à larchitecture moderne et à la tradition de labstraction : rien nest dissimulé et le spectateur a toujours la possibilité de reconstituer le processus de création. Cette caractéristique est même un des ressorts décisifs de la perception. Ainsi les sacs de papier quelle a accolés pour former « Orange 1 » (1996) déterminent une structure toujours évidente sous la couche de peinture.
Autre point fondamental, l’équilibre toujours tendu entre l’autonomie de l’œuvre et sa relation au site. Cette question de l'indépendance de l'œuvre, R. Levi l'a poussée particulièrement loin dans ses interventions dans l'espace public. Tout le travail effectué dans le cadre du bâtiment conçu par Morger & Degelo à Dreirosen-Klybeck (Bâle) demeure dans l'orbite d'une stricte fonctionnalité. Les rideaux jaunes à guirlandes fleuries disposés en façade sont évidemment soumis à l'ensoleillement ou aux habitudes des usagers du bâtiment et il en va de même pour les portes des vestiaires ou la couleur des murs de la salle de sport ; tous contribuent à créer une atmosphère globale résultant d'une interprétation attentive des qualités de l'architecture.
Cette préoccupation pour la question de l’autonomie de l’œuvre se retrouve dans la peinture de R. Levi. Ses panneaux de plâtre peints au spray la technique probablement la moins suspecte de fétichisation posent par exemple des problèmes de cohérence interne du champ pictural : à l’intérieur d’un châssis métallique, R. Levi insère plusieurs plaques de plâtre préfabriquées dont le traitement peut être extrêmement hétérogène. L’effet de fragmentation s’avère d’autant plus prégnant que les plaques peuvent visiblement être déplacées et permutées. Étendue aux dimensions de l’architecture, la technique du spray prend d’autres significations. Apparemment aléatoires, voire automatiques, les sprayages sont souvent déterminés par la portée du geste et du corps ; et quand les lacis qui sont l'interprétation la plus distanciée qu'on puisse imaginer du 'dripping' et du 'all-over' pollockien deviennent plus denses, plus saturés, c'est à des problèmes de spatialisation de la couleur que le spectateur se voit confronté la couleur conditionnant la perception de l’espace construit. Mais le problème de la cohésion de l’œuvre demeure ici aussi critique car, comme dans le cas des panneaux de plâtre, R. Levi travaille à déconstruire la composition en intervertissant par exemple des parties du support. Ainsi, avec « Berman Was Here » et « Pera », elle trouve dans la structure de bois des salles du musée le module qui détermine la forme de son intervention : la peinture murale, jouant sur ces panneaux de bois, s’approprie les deux salles mises à sa disposition et, en investissant les cloisons, elle donne au spectateur l’occasion de renouveler son expérience de l’espace.
|