Jérôme Leuba s’intéresse à l’aura des lieux de pouvoir, des zones de conflits, des espaces de confrontation. Depuis plusieurs années, sur des supports et des formats divers (photographies, vidéos et installations), il développe sur ce thème une vaste déclinaison d’œuvres intitulées « Battlefield » (champs de bataille). Le Mamco a déjà précédemment rendu compte de cette série de pièces en présentant « Battlefield #17 ». Cette vidéo évoquait le rapport étrangement intime qu’induisent les contraintes sécuritaires. L’artiste y filmait des corps nus parcourus par un détecteur de métaux.
Cette série d’œuvres du lauréat du Prix culturel Manor 2007 s’attache non seulement à révéler l’empreinte du pouvoir, mais aussi à mettre en doute les codes de nos systèmes de représentation. Les images de J. Leuba contiennent un faisceau de petites collisions. Elles ne se livrent pas en un seul regard et soulignent le caractère ambigu de toute médiatisation de la réalité. Ainsi, la bande sonore de son nouveau film, « Battlefield#27 / unlimited », fait raisonner le chant des grillons dans un dédale de couloirs vides et figés. La caméra sillonne un espace dont le gigantisme est accentué par un savant jeu de clair-obscur. L’effet de collage de l’ensemble fait passer les épaisses cloisons de ce vaste ensemble de couloirs pour des images de synthèse. Il n’en est rien. Pour tourner ce film, J. Leuba s’est laissé enfermer une nuit dans la grande halle d’exposition de Bâle avant l’accrochage de la foire de l’art, un des événements mondiaux les plus importants du marché de l’art contemporain. Le rythme des mouvements de caméra allant en s’accélérant, une impression d’angoisse saisit le spectateur. La balade devient course vaine. Certes, avec cette vidéo l’artiste évoque le vaste champ de tensions économiques et sociales induites par le marché de l’art, mais, plus simplement, il se joue de toutes les tentatives à traquer un hypothétique esprit du lieu. Ces espaces sont en attente, rien ne distingue objectivement cette enfilade de cloisons blanches de la structure standard d’un plateau de télévision ou de cinéma. Ce décor est le cadre possible de n’importe quel récit filmé.
Avec « Keywords », J. Leuba revient sur cette double sensation paradoxale de vide et de saturation de récits, en faisant défiler une suite en apparence incohérente de mots sur un écran. Cette pièce diffuse en temps réel des mots clefs tapés sur un moteur de recherche. Au final, chaque utilisateur d’Internet contribue à dérouler cette litanie sans fin, dont la platitude rend compte cruellement de la nature de nos centres d’intérêts. Mais, la possibilité même d’une telle pièce, d’abord imaginée pour prendre place dans l’espace public, jette un doute sur l’anonymat dont chacun de nous bénéficie en surfant sur le grand réseau. Comme le spectre magnétique, les œuvres de J. Leuba, rendent visible le champ d’attraction de forces opposées en produisant parfois d’élégantes courbes.
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