Stefan Banz a assumé tour à tour tous les rôles du système de l’art. Membre fondateur et premier directeur de la Kunsthalle de Lucerne, commissaire de nombreuses expositions, il fut également galeriste et critique, une activité qu’il poursuit à ce jour. En 1992, pour « Cultivating the Museum », il réunit au sein de la même exposition un commissaire (Harald Szeemann), un philosophe (Jacques Derrida), un critique (Theo Kneubühler) et un paysagiste (Wada Jossen), faisant de sa propre activité de médiateur une pratique qui régit ouvertement le sens global de l’installation soit une pratique d’artiste. En 1994, il emprisonne le stand d’Ars Futura à la Foire de Bâle dans une boîte de verre. Cette structure définit un seuil à la fois fragile et omniprésent entre un espace intérieur et extérieur et marque ainsi le territoire symbolique de l’art au sein d’un dispositif contingent à son appréhension. À propos d’une installation similaire de 1995, où il avait placé toute la galerie sur un socle de 18 centimètres de haut, l’artiste parle d’une « fusion de l’interaction, de la médiation et de la réception (de l’œuvre d’art) en un événement complexe unique. Chaque acteur du système de l’art devient un élément à part entière de l’œuvre. Ces différentes positions provoquent différents niveaux de réalité, soulignent la présence simple et néanmoins inévitable de l’objet. En ce sens la réalité devient art alors que l’art devient réalité. »
Ce même principe semble régir le champ dinterprétation de ses grandes photographies et vidéos, prises dans son entourage immédiat : sa maison aux pieds des Alpes à Lucerne, son jardin, sa femme et ses enfants, Jonathan et Lena. Limage que S. Banz donne de la famille nucléaire dans ce paysage de carte postale est pour le moins ambiguë. Malgré leurs formats et le soin apporté aux tirages, qui font indubitablement de ces photos des objets dart destinés à des cimaises publiques, le caractère obstinément intime jusquà en devenir gênant de ces clichés les rattache à une sphère et à un usage privés. Pourtant, ces photos ne peuvent être réduites à de simples agrandissements de clichés de famille. Les cadres brutalement coupés et les couleurs exacerbées leur confèrent une hyperréalité cinématographique. Lambiguïté de ces photos est avant tout celle de laction qui sy déroule et du sens que lon peut en extraire. Une fois rendues publiques, loin du contexte strictement domestique dont elles sont issues, ces images perdent leur lisibilité, deviennent étranges, inquiétantes, et souvrent à toutes les projections fantasmatiques du spectateur. La famille « normale » devient alors le lieu dune appréhension sensible du quotidien, dune sentimentalité sexualisée, violente et magique, propre au couple, à lenfance et à léconomie affective ritualisée qui rassemble tout ce petit monde.
Lartiste évoque volontiers le cinéma dHitchcock qui lie le spectateur et le personnage principal du film dans lanticipation dun événement à venir incertain , et celui de David Lynch qui engage cette même relation dans une tension surréelle entre désir et réalité. S. Banz joue avec nos nerfs. Lexposition du Mamco, intitulée « A Shot Away Some Flowers », présente une installation composée de deux vidéos, « Eating Vampire » et « Breaking the Test Tube », où lon peut voir Léna, le visage fardé, mangeant un bol de céréales au petit déjeuner et testant dangereusement la résistance dune éprouvette en verre sur un coin de table.
Parallèlement, une suite d’une soixantaine de tableaux, les « Baby Bacons », versions miniatures des œuvres du peintre anglais, seront exposés au première étage sorte de collection idéale à usage décoratif domestique.
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