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du 1er juin au 4 septembre 2016

Sherrie Levine



L’usage de la citation et la stratégie de l’appropriation deviennent au début des années 1980 le mode d’expression privilégié d’un bon nombre d’acteurs de la scène artistique new-yorkaise : Sherrie Levine (1947, Pennsylvanie) est à compter au nombre de ceux-là. Hostile à toute production originale, elle s’attache à copier scrupuleusement les œuvres emblématiques de la modernité triomphante, afin d’interroger et de mettre à l’épreuve les catégories esthétiques — comme celles de l’auteur ou de l’originalité — autour desquelles celle-ci s’est constituée.

Au début des années 1980, une nouvelle génération d’artistes s’impose sur la scène internationale. Les travaux de ces artistes tiennent lieu d’antidote efficace aux résurgences inspirées venues d’Allemagne (Néo-expressionnisme) et d’Italie (Trans-avant-garde). Ils entendent ainsi lutter contre la restauration des notions romantiques — génie, artiste démiurge, originalité — d’une métaphysique jugée désuète. Plusieurs femmes participent à cette aventure : elles revendiquent une place dans une histoire de l’art dominée par les hommes, en dénonçant notamment « le système de l’art comme un dispositif de célébration du désir masculin » (1).

Avec cette nouvelle génération d’artistes, à laquelle appartient  Sherrie Levine, s’opère un changement de paradigme : l’objet de la critique n’est plus l’institution muséale mais les discours idéologiques qui visent à envahir et dominer l’ensemble du corps social ; il s’agit notamment des discours situés en dehors de l’institution muséale proprement dite, ceux des massmédias par exemple.

Le travail de Levine sera d’abord interprété, au début des années 1980, comme un certificat de décès adressé à l’endroit de l’auteur/artiste. Son développement ultérieur nuance ce type d’interprétation, placé pour l’essentiel sous l’influence des textes de Roland Barthes et de Michel Foucault (2). L’intérêt du travail de Levine ne s’épuise pas dans cette seule déconstruction. Il n’est pas à interpréter, semble-t-il, comme une nouvelle variation morbide sur la lancinante question de la disparition de l’auteur mais laisse plutôt à penser que la notion d’auteur n’est en rien un invariant : elle est d’abord et avant tout une construction historique. Cette remise en question de la notion d’auteur traverse l’histoire de l’art moderne. L’œuvre de Sherrie Levine s’inscrit bien évidement dans cette tradition. Mais au lieu de rejeter la notion d’auteur, pour conclure, comme tant d’autres avant elle, à sa disparition définitive, elle cherche plutôt à la redéfinir, consciente que cette catégorie s’inscrit dans une histoire, à commencer par celle de ses variations linguistiques et juridiques.

L’œuvre de Sherrie Levine est avant tout l’expression manifeste du deuil impossible des valeurs de la modernité. D’où sa mélancolie, d’où sa nostalgie à l’endroit d’une histoire de la surenchère, écrite au rythme des ruptures successives orchestrées par des avant-gardes, régies selon le principe de la table rase. Sans doute Sherrie Levine partage-t-elle avec Theodor Adorno l’idée selon laquelle le bonheur promis par l’aventure — celle des avant-gardes historiques du début du XXe siècle — n’a pas eu lieu. Son art est un art de l’après catastrophe, de l’après Auschwitz et Hiroshima diront certains, mais aussi de l’après échec des avant-gardes. Elle entérine cet état de fait et prend enfin la juste mesure de cet échec. Elle invite au « deuil perpétuel » des valeurs et des catégories autour desquelles l’histoire des avant-gardes s’est écrite, sans pour autant être à même de les remplacer, incapable de trouver une contrepartie valable à cette perte. En cela, l’œuvre de Levine s’apparente à la construction d’un monument funéraire dressé à la gloire d’un espoir déçu.

Lionel Alèze


1. Sherrie Levine, propos recueillis par G. Marzorati, Art News, mai 1986.
2. Roland Barthes, « La mort de l’auteur » (1968) in Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 63.
Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969) in Dits et Écrits, Tome l, Paris, Gallimard, 1994, p. 789.














Vue partielle de l’exposition, MAMCO, 2016.
Photo : Annik Wetter — MAMCO, Genève.