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  Tatiana Trouvé

exposition temporaire
The Longest Echo — L’Écho le plus long  
    Dessins
    350 Points à l'infini
    Fantômes
    I Cento Titoli
    I Tempi doppi
    Les Indéfinis
    Les Refoldings
    Polders
    Prepared Space
    Sans Titre (Plug)
    The Guardian

Tatiana Trouve 1
Tatiana Trouve 2
Vues partielles de l'exposition
Tatiana Trouvé,
The Longest Echo — L’Écho le plus long

in cycle Des histoires sans fin, séquence été 2014
du 25 juin 2014 au 21 septembre 2014



Dessins


Le dessin occupe une place centrale dans le travail artistique de Tatiana Trouvé. Car dessiner, dit-elle, c’est à la fois retourner sur les lieux de la pensée et opérer une projection de la pensée. Dans ce double mouvement, cette activité se propose comme une opération de la mémoire, qui se déploie non pas à travers la matière biographique de la vie de l’artiste, mais dans celle de son projet artistique lui-même. Ainsi peut-on comprendre les termes « d’espace psychique » que l’on y a souvent associé. La formule demeure cependant un peu abstraite si elle n’est pas rabattue sur des propositions et des formes. Les titres accordés aux quatre principales séries des dessins de Tatiana Trouvé — « Intranquillity », « Remanence », « Deployment », « Les Désouvenus » — l’indiquent clairement : une superposition est produite entre des phénomènes psychiques et des propositions spatiales. Il faut donc prendre en compte ce nouage singulier, où l’espace spirituel et l’espace matériel, par l’opération de la mémoire et dans le dessin, parviennent à coexister pleinement. Ce travail n’est nullement celui de la métaphore ou du symbole, mais avant tout celui de l’équivalence.
La mémoire sélectionne, recompose et redistribue ses éléments, sans jamais les stabiliser, elle poursuit son travail dans ces dessins, à travers des opérations de projection, de superposition et de collage, qui mobilisent différentes qualités de papier, des fils d’étain ou de cuivre… Si l’espace est, ici comme dans l’architecture, construction plus que représentation, il ne cède en rien aux méthodes et aux principes de cette dernière. Les agencements produits entre les objets déjouent les lois physiques de la gravité ou de la perspective, les frontières de l’intérieur et de l’extérieur, du public et du privé, selon une logique qui semble également défier les lois de la fonctionnalité et de la chronologie, en faisant coexister des objets renvoyant à différents usages et différentes époques.
Si les modalités de fonctionnement de ces espaces sont tout autres, c’est parce que la superposition des phénomènes psychiques et des propositions spatiales en veut autrement. Un terme peut concentrer ce jeu des équivalences, dès lors qu’il est pleinement accompli : « l’inconscient » ; car l’inconscient projette, les uns sur les autres, et sans hiérarchie aucune, les espaces et les temps. En cela, et uniquement en cela, il est possible de mentionner, dans ces dessins, le travail de l’inconscient et de comprendre pourquoi, de manière intuitive, on y identifie quelque chose qui puisse s’apparenter aux images du rêve. Dans le singulier montage arrêté par l’artiste, on ne pourra se contenter de restreindre cependant sa portée à une rêverie d’espace, car il faut aussi envisager, ici, une relation plus générale entre la pensée et la mémoire, le rêve et le projet. Ajoutons enfin que chez Tatiana Trouvé, les espaces sont toujours dessinés, et qu’en cela le dessin déborde sur l’ensemble de son travail, dans ses installations comme dans ses sculptures, notamment avec cette opération par laquelle les espaces en trois dimensions sont aussi et avant tout des extensions des espaces en deux dimensions.


Intranquillity
Commencée en 2005, la série Intranquillity est celle qui comporte le plus grand nombre de dessins dans les formats les plus variés. Que dire de l’« intranquillité », sinon, d’abord, qu’elle est ce sentiment qui anime le narrateur du Livre de l’Intranquillité de Bernardo Soares, écrit par Fernando Pessoa entre 1913 et 1935, livre inachevé composé de fragments, journal de bord d’une pensée qui se déplie au contact du monde, c’est-à-dire de tous les objets qui le peuplent, même les plus triviaux, avec une attention intense. Il serait tentant de reporter la structure de ce livre sur celle des dessins de Tatiana Trouvé, vus dès lors comme un ensemble fragmentaire et un exercice de la pensée intranquille. Mais il faudrait encore ajouter que l’intranquillité est un désajustement de soi au monde, empreint d’une profonde mélancolie, dont l’inverse serait l’apaisement et la sérénité. Tatiana Trouvé le pointait lors d’un entretien, en 2009 : « Vous savez ce que signifie être tranquille. Tout au moins c’est une idée qui vous est familière. Celle d’un état serein, plein, une sorte de quiétude. Je crois que vous pouvez comprendre, alors, ce que signifie être intranquille. C’est un état inquiet et qui ne passe pas, non pas comme une étrangeté à soi (l’inquiétante étrangeté), mais comme une étrangeté de soi au monde. » En cela, peut-être, l’intranquillité est-elle aussi un état du monde désajusté, et l’intranquille celui qui navigue dans ces mouvements tourmentés, en solitaire, dans les limbes.


Remanence
Si dessiner permet de « revenir sur les lieux de la pensée », alors, il faut comprendre ce retour comme une remémoration, c’est-à-dire à la fois comme un parcours et comme une rumination. La série Remanence est sans doute celle qui explore au plus profond ce mouvement, puisque les vingt-deux dessins qui la composent sont directement liés à ceux de la série Intranquillity, qu’ils revisitent et repensent, en inversant le principe même du dessin, happé par le noir comme par une antimatière. Exécutés à la mine de plomb et au crayon noir sur papier noir, ils trouvent dans leur mode paradoxal de révélation, en négatif, un équivalent graphique au souvenir, crépusculaire et fantomatique, où se confondent l’objet et son ombre. La rémanence est cette persistance qui, sur un plan optique, désigne le temps que met la source lumineuse d'un écran avant de disparaître complètement, mais on évoque aussi la rémanence de lieux, lorsqu’y frémissent et y sourdent des événements passés.


Deployments
La série Deployments compte cinq dessins et se restreint au choix de très peu d’éléments — un ensemble de meubles, armoires et placards — et de textures — adhésifs « faux bois », qui se déploient et dont les raccords — chaque porte ouverte rejoint une autre porte — structurent un espace. Qu’ils soient ouverts ou fermés, ces armoires et ces placards vides, destinés à accueillir un classement ou un rangement, constituent un lieu. On y trouvera, plus qu’une image de la pensée sous forme de métaphore, des échos à certains modules du Bureau d’Activités Implicites de Tatiana Trouvé (nous pensons en particulier aux Archives et aux Réminiscences), ensemble modulaire destiné à retenir et à restituer l’activité de pensée de l’artiste.


Les Désouvenus
Le titre de cette dernière série de dessins ouverte récemment par Tatiana Trouvé (initiée en 2013, elle comporte à ce jour neuf éléments) nous ramène à la mémoire, à ses déficits, voire à sa perte. Se désouvenir, c’est perdre l’usage de la mémoire et par conséquent vivre un présent dépeuplé, où le passé ne passe plus, où les événements, les personnes, les choses et les lieux sont déliés les uns des autres. Ici, l’encre du papier noir est dissoute par des drippings de javel, qui font apparaître des taches conditionnant les possibilités du dessin. Si la série Remanence retenait du négatif photographique ses principes optiques, Les Désouvenus renvoient à ces apparitions spirites et à ces images archaïques de la radiographie. Les objets qui structurent leurs espaces empruntent aux éléments d’une iconographie personnelle ayant participé à l’élaboration de l’œuvre de l’artiste.



Tatiana Trouvé est née en 1968 à Cosenza ; elle vit à Paris.