Vue de la salle « Inventaires du mémorable » Joseph Beuys, Costume de feutre, version jeté au sol en 1971 à l’aéroport d’Orly, 1971 coll. particulière Marcel Broodthaers, Grande casserole de moules, 1966 coll. S.M.A.K., Stedellijk Museum voor Actuele Kunst, Ghent Vue de la salle « Passif de la modernité » |
Hommage à Philippe Thomas et autres œuvres augmenté de L’Ombre du jaseur (d’après Feux pâles) in cycle Des histoires sans fin, séquence printemps 2014 |
L’Ombre du jaseur (d’après Feux pâles)
C’est par ces vers que commence le poème Feu pâle de John Shade, dans le roman éponyme de Vladimir Nabokov. Roman virtuose, sidérant, Feu pâle se présente comme la publication posthume du poème, auquel est adjoint un appareil critique (préface, commentaire vers par vers et index) réalisé par Charles Kinbote, l’étrange voisin de Shade. C’est précisément dans cette exégèse qu’une intrigue se fait jour, éloignant toujours un peu plus le lecteur du poème pour l’amener vers la paranoïa du commentateur. Feux pâles, au pluriel, c’est le titre que choisira Philippe Thomas pour l’exposition qu’il réalise en 1990 au capc Musée d’art contemporain de Bordeaux. Sous couvert de son agence, Ph. Thomas voit dans l’invitation du musée l’occasion d’élever le principe fictionnaliste développé dans ses travaux précédents (que l’on pourra découvrir dans les autres étages du musée) à la hauteur de l’institution, lieu neutre d’un savoir scientifique, généralement peu suspecté de partialité. Ph. Thomas écrit ainsi dans ses carnets : « Le fait important, pour moi, est qu’une institution et non des moindres cette fois, se place quasiment dans la position faite au collectionneur : celle du personnage qui produit la fiction en s’y admettant. » En collaborant avec l’agence, le Capc signe de fait un projet qui le reconnaît comme « partie prenante d’une histoire en cours ». Feux pâles prend les traits d’une exposition-livre, scandée en onze chapitres, avec un préambule et un index, menant, à partir des cabinets de curiosités des XVIe et XVIIe siècles, une réflexion sur le musée et ses présupposés. Pour ce faire, Ph. Thomas va s’associer à des historiens de l’art (Patricia Falguières, Jean-Philippe Antoine, Jean-Marc Poinsot), un artiste spécialiste de rhétorique (Éric Duyckaerts), ainsi que d’autres « personnages » de sa fiction (Sylvie Couderc, Jean-Marc Avrilla, Jacques Salomon et Bernard Edelman). Chacun d’entre eux signe un texte dans le catalogue qu’il faut envisager dans une relation étroite avec l’exposition. La présence de ces quelques noms respectés de l’histoire de l’art devrait servir de caution scientifique à celle qui nous est ici comptée. Or, comme pour le roman de Nabokov, on perçoit, tant dans les textes que dans les œuvres exposées, les germes d’une fiction qui agite subtilement le socle de la raison discursive. Véritable œuvre à l’échelle d’une exposition, Feux pâles se retrouve documenté dans la pièce Un cabinet d’amateur (présenté au premier étage du musée). « Les restaurateurs scrupuleux ne perdent jamais de vue qu’ils ne sauraient toucher une toile sans l’interpréter » écrit l’historien Edgar Wind. Fidèle à cet adage, L’Ombre du jaseur n’est pas une reprise littérale de Feux pâles — proposition aujourd’hui vouée à l’échec — mais se conçoit comme une exposition dans l’ombre de la première. À partir d’un important travail sur les archives et notes de l’artiste, et à travers les entretiens menés avec les personnes impliquées dans le projet original, le Mamco propose une version possible de la fiction thomasienne. Ainsi, si la liste des artistes, à de rares exceptions près, est fidèle à celle de l’exposition d’origine, le choix des pièces a été soumis à quelques variations. |
Philippe Thomas est né en 1951 à Nice ; il est décédé en 1995 à Paris. |
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