Karim Noureldin expérimente, au fil de sa pratique, différents médiums : photographies, maquettes, peintures murales, le dessin demeure pour lui une activité fondamentale. Dans les rajouts, ratures, repentirs des croquis qui tapissent son atelier (« 1058 drawings », 1997), se lit le travail de la pensée. Les installations les plus anciennes s’organisent d’ailleurs à partir de dessins aux dimensions imposantes (3 m sur 6 m), et se poursuivent par des peintures murales dans lesquelles les éléments gagnent en autonomie. Moins fusionnel qu’avec l’utilisation du dessin seul, le développement dans l’espace des lignes peintes, garde cependant mémoire de cette prééminence du dessin qui est, dans son œuvre, plus intimement lié à la sculpture qu’à la peinture.
Au Mamco, le plateau des sculptures accueille sa nouvelle installation in situ : « Zigzag ». L’espace d’exposition est un grand rectangle que l’artiste duplique en introduisant un rectangle à redents, plus petit, « coincé » dans l’espace initial. Pour la première fois, dans une de ses installations, le sol est surélevé. Entre sculpture et objet artificiel, le plancher et son motif peint, des chevrons, évoque les grecques des mosaïques de pavement. Si les contraintes de construction du plancher imposent une forme régulière, rigide, le motif en zigzag casse la régularité du rectangle en subissant, lui-même, une déformation qui tempère sa logique. Les longues verticales noires qui scandent les parois des murs ouvrent l’espace du regard. Elles interrompent la grisaille des dessins, sortes de cartographies improbables, patiemment voire compulsivement dessinées. Le motif entre en résonance avec le blanc du mur, et s’extrapole au-delà des limites de l’espace, rappelant les peintures de Morris Louis. Illusionnisme, formes singulières, vitesse, arrêt, s’opposent, se répondent, se complètent. Le tracé lisse et rigoureux des verticales et des chevrons, le rugueux et le subjectif des traits de crayon s’imposent, à l’image des travaux de Blinky Palermo, comme un « compromis entre rationalisme et intuition » qui fonde le style si personnel de l’artiste.
L’abstraction est pour lui une langue internationale qui possède ses dialectes, ses accents, ses particularismes locaux. S’il devait se choisir une autorité de tutelle, K. Noureldin revendiquerait celle d’Aurélie Nemours, d’Agnes Martin, de Sophie Taeuber-Arp…, dont l’œuvre se fonde davantage sur l’intuition que sur le calcul et la déduction. Ce que le regardeur de la série « Unknown Zone », qui se poursuit encore aujourd’hui, perçoit entre une multitude de réponses possibles, n’est pas du domaine du définissable, mais de l’intime, du regard intérieur.
Les références ne sont jamais explicites dans l’œuvre de K. Noureldin, mais sous-jacentes, réminiscences inconscientes: intérieurs de Verner Panton, arabesques omniprésentes de la culture orientale, travail des textiles, des tapis d’Orient surtout, dont la trame ressurgit dans les grisailles couvrant les murs ou dans le motif en chevrons. Son propos n’est ni philosophique, ni ethnographique, mais l’abstraction à l’œuvre dans l’art islamique, celle qui raconte l’ordre du monde, exerce de toute évidence une fascination sur lui, comme un « réel à rebours » présidant à tout projet.
Lieux recomposés par la mémoire, les installations de K. Noureldin témoignent du pouvoir de « l’imagination (qui) n’est rien d’autre que le sujet transporté dans les choses » (Bachelard).
|