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  Hervé Graumann 

exposition temporaire
Anniversary Shaw, 1993-2000   

Raoul Pictor cherche son style, 1993-2003
copie d'écran

Raoul Pictor cherche son style, 1993-2003
copie d'écran

Vues partielles de l'exposition

Indefinable Pattern (Vanités 2b), 2003
objets divers, installation ; 450 x 350 cm
coll. de l'artiste


Hervé Graumann, Anniversary Shaw, 1993-2000

in cycle Rien ne presse / Slow and Steady / Festina lente, troisième épisode
Eau & Gaz à tous les étages  /  du 28 février 2003 au 20 avril 2003

Une journée dans la vie de Raoul Pictor

Réveillé par l'activation d'une horloge interne, Raoul n'a nul besoin de se lever, il apparaît morceau après morceau, tel un fantôme, dans la pièce qui lui sert d'atelier. Pendant quelques courts instants, insuffisamment assuré de son identité personnelle, il s'oublie dans les choses, se trouve emmêlé dans le trapèze au vert éclatant de la moquette ou happé, en partie, par le dessin aux barres de couleur verticales qui schématise une bibliothèque.

Dès qu'il se sent un peu mieux lui-même, Raoul commence à s'adonner avec ferveur à sa principale activité : marcher. Cet exercice ne constitue pas un but en soi, il signale la perplexité de l'artiste. Béret vissé sur le crâne, affublé d'une blouse grise dans le dos de laquelle il a pour habitude de croiser ses mains, Raoul expérimente l'espace de l'atelier avec une touchante maladresse. C'est au moment de changer de direction qu'il semble éprouver le plus de difficultés... n'est-ce pas qu'il s'affronte alors à une aporie spatiale : comment s'orienter dans la profondeur illusoire d'un plan ? Métaphore du problème auquel s'est toujours confrontée la peinture, la déambulation de Raoul n'a plus pour vertu de prouver le mouvement par l'exercice mais bien d'affirmer la possibilité de la représentation. Peintre, – « Pictor » – Raoul l'est tout d'abord par sa démarche, préambule obligé de son art.

Pour se reposer de ses graves préoccupations, le peintre a l'habitude de jouer du piano. Il prend aussi des pauses en s'abandonnant au confort un peu fruste d'un fauteuil niché dans un angle de la pièce, situation privilégiée pour qui prétend scruter l'orthogonalité du monde phénoménal. Ensuite, Raoul peint vite, avec une ferveur inquiète, dans l'urgence de fixer, avant qu'il ne lui échappe, le résultat de méditations longuement ruminées durant ses va-et-vient. Artiste d'atelier, son modèle est mental. Nulle image, vignette pittoresque ou vision sublime, ne vient troubler sa claire conscience des rapports. La toile achevée à grands coups de brosse, après force gesticulations, l'artiste la prend à bras-le-corps et quitte avec elle la pièce par une étroite fente noire ; laquelle fente, si l'on accorde quelque crédit au code perspectif que nous a légué la Renaissance, symbolise une ouverture rectangulaire au format d'une porte.

À noter : nous ne savons rien de l'œuvre qui vient d'être achevée puisqu'elle était posée de dos sur le chevalet qui occupe le centre de l'atelier et que l'artiste s'en est saisi, une fois terminée, sans la retourner. Pour l'heure, Raoul, revenu à son état électrique primordial, lié à sa création si intimement que plus rien ne les distingue l'un de l'autre, Raoul privé de surface, Raoul l'algorithme circule dans le réseau des câbles, à cheval sur l'interface qui relie imprimante et ordinateur. De son activité sans représentation naît une image : jeu d'encres colorées obtenu par la réunion dans un format paysage d'une sélection aléatoire d'éléments emmagasinés dans la mémoire d'un programme. Signée, datée et numérotée, l'œuvre actualise un des termes de l'ensemble des probabilités à quoi se résume, pour finir, l'élan créateur de Raoul. Dès lors quelques questions se font pressantes.

L'expression « Raoul Pictor cherche son style... » signifie-t-elle qu'il l'aura trouvé lorsque, la musique du hasard s'étant tue, il aura épuisé toutes les combinaisons possibles – à savoir, plusieurs milliards, sans doute – à partir des données limitées de sa mémoire ? Dans cette hypothèse, si Raoul continue à produire, il ne pourra plus que se plagier lui-même. Faut-il voir là une forme de radotage ou bien considérer plutôt qu'il nous donne une magnifique leçon sur les mécanismes mystérieux qui font agir les artistes œuvre d'art, quelle que soit sa forme, quelque matériau qu'elle emprunte pour incarner cette forme, n'est-elle pas fondamentalement dépourvue d'originalité ? Au public enthousiaste qui applaudit la nouveauté radicale faute de reconnaître, sous l'éclat trompeur de son actualité, une réorganisation habile ou inspirée du même, Raoul oppose une conception moins idéaliste de la création. Qu'après x années de son inlassable labeur, il commence à peindre des toiles déjà une fois sorties de son atelier, on ne peut raisonnablement le lui reprocher puisqu'au regard de sa mémoire achevée, son œuvre complet existe, au moins potentiellement, avant même qu'il ait préparé sa palette. Une peinture qui sort de l'imprimante est donc, de fait, toujours une copie. En quoi le fait d'être la première constituerait-il un statut privilégié ? Quelle légitimité ontologique particulière pourrait-on lui accorder qui interdise qu'une seconde puis une troisième copie, et ainsi de suite, soient à leur tour produites ? À la question qui inaugurait ce chapitre d'interrogations, on fera écho par celle-ci, qui ne prétend pas le clore : est-ce donc qu'à la différence de beaucoup, qui un jour ont cru trouver, Raoul, scrutant le corpus immense mais fini de ce qu'il a à exprimer, cherche encore ?

François Y. Morin


Hervé Graumann
En 1993, Hervé Graumann activait pour la première fois « Raoul Pictor », un artiste virtuel qui « cherche son style ». Depuis 5 ans maintenant, Raoul Pictor évolue entre autres sur son site Internet (http://www.raoulpictor.com). Entre Raoul Pictor et Hervé Graumann, la frontière n'est pas nette, les carrières mutuelles se superposent. La fiction autobiographique est très présente dans le travail de Graumann, dont l'univers visuel est quotidienne : sa table de travail ou sa salle à manger côtoient des pompes à essence ou des arrêts de bus. La confrontation entre la puissance supposée de la technique numérique et la simplicité des situations génère un humour décalé, qui touche le spectateur familièrement.


Hervé Graumann est né en 1963 à Genève où il vit.
www.graumann.net